J’avoue de prime abord que ce n’est pas le genre de sujets que j’affectionne. Toutefois, le zèle d’une partie de nos élites et leurs tentatives belliqueuses de livrer des concitoyennes à la vindicte populaire peuvent avoir raison des nerfs du plus sage d’entre les sages.

Par les temps qui courent, c’est le foulard et celles qui le portent qui cristallisent les passions. Encore une fois, le délire anti-voile bat son plein. Les adversaires du fameux morceau de tissu ne sont pas prêts de baisser les armes. Sitôt leur hibernation hivernale terminée, ils ont sorti l’artillerie lourde : conférences de presse, textes sous forme de pamphlets accusateurs, apparitions systématiques dans des médias très enclins à s’ouvrir à la diversité quand il s’agit de montrer du doigt certaines communautés... Il faut semer la panique tant que le contexte s’y prête.

La forteresse France en exemple
Traditionnellement, pour nos juges exaltés, l’exemple le plus probant reste la France où le voile a été « éradiqué » de la vie publique. Le pathétique est à son comble. La France, telle Mère courage, n’a pas abdiqué devant l’avancée verte, à la différence de notre voisin américain où la musulmane Dalia Mogahed, une Américaine d’origine égyptienne fière de porter un voile et un nom à faire peur, vient d’être promue conseillère du président Barack Obama. 
Le cas hexagonal n’est mis en exergue que pour accentuer l’impression « Choc des cultures » et vanter l’approche « tolérance zéro » à l’égard des communautés exogènes. Jamais pour rappeler d’autres inventions franco-françaises. Pas un manuel n’a été publié pour nous résumer en quoi consiste le bossnapping, c’est-à-dire l’art de séquestrer un patron sans scrupules. Les grèves bruyantes et l’exacerbation de la relation gouvernants-gouvernés sont également évacuées de notre champ de vision, même si un ex-premier ministre, en l’occurrence Dominique de Villepin, a récemment évoqué « un risque révolutionnaire » chez nos cousins.

On ne verra certainement pas un de nos intellectuels cosmopolites initier un débat sur « l’égalité réelle » (et non pas tronquée…) ou les statistiques ethniques. Pourtant, sur les bords de la Seine, le Chaoui Yazid Sabeg l’a bien fait. Dois-je comprendre que nos sommités montréalaises portent des lunettes bien sélectives?
Dans ce contexte, il est certainement trop tôt de dire de quoi accouchera la décision d’interdire le voile dans les écoles en France. Dire qu’il n’y a aucun lien avec la ghettoïsation subie par certaines communautés, en premier lieu les Maghrébins, revient à mentir. Légiférer sur le voile n’est-il pas un signe de crispation?

Sans aucun doute, le Québec ne peut se permettre de marginaliser des familles entières. Le capital humain, voilé ou non, est ce qu’il y a de plus précieux dans ce coin du globe. Déjà que les femmes qui arborent un voile sont quasiment absentes des institutions québécoises…
Disons-le sans ambages : ces temps-ci, une partie de ce capital humain fait peur. C’est ce qui ressort du texte de Jack Jedwab publié par The Gazette, le quotidien anglophone qui a une bien étrange manière d’orienter le discours sur l’immigration. Si l’on se fie au constat établi, sur la base d’un sondage de la firme Léger Marketing, par celui qui dirige l’Association d’études canadiennes, le nombre des Québécois qui perçoivent les immigrants comme une menace a nettement augmenté.

Une logique d’aliénation
Ce n’est guère une surprise, quand on pense que certains médias n’ont jamais interrompu leur chasse aux musulmans, multipliant les amalgames et les raccourcis. Que demander de quelqu’un dont le vocabulaire ne s’est enrichi que des mots hidjab, taliban et fatwa…? Une confession s’impose: si j’étais de souche, j’aurais sûrement adhéré à l’action du maire d’Hérouxville. Ces affreux immigrants, on ne les voit guère à l’ouvrage. Pas un journaliste à la peau basanée dans nos médias, ni un col bleu aux cheveux frisés dans nos rues ou un facteur au teint foncé devant nos portes! Ils sont tous contents de faire des jobines peu éprouvantes dans des centres d’appel et toujours les premiers à se recycler en enseignants. En plus, ils parlent le français avec un accent.
 
Une année après le dépôt du rapport Bouchard-Taylor, on entend peu parler d’un volet important souligné dans ledit rapport : le chômage endémique qui frappe les communautés musulmanes. Les recommandations relatives aux problèmes d’employabilité des immigrants sont mises en sourdine, alors que tout un chacun sait que les carences dans ce domaine constituent un terrible frein à l’intégration des nouveaux (et en partie des anciens) arrivants.
Quoi de plus injuste que d’enfermer les Québécois musulmans dans un brouhaha sur le sort du voile, alors que bien des défis les attendent au tournant. Que d’énergie gaspillée et qui serait bien utile dans un réel débat sur l’immigration. Assurément, une diaspora aliénée n’a que peu de chance de peser sur le cours des évènements aussi bien dans le pays d’accueil que dans des régions d’origine en mal de réformes démocratiques. Et Dieu sait si, en matière de défis, nous ne sommes pas choyés.

Nul ne peut mettre en doute la volonté d’intégration des membres des communautés venues d’ailleurs dans la société d’accueil. Pour preuve, les voix des minorités visibles entendues lors des consultations sur les accommodements raisonnables ont résonné très fort. Étrangement, une année et quelques jours plus tard, ces voix sont devenues inaudibles sur la scène publique québécoise. Ce n’est pas le cas de ceux qui prêchent l’éradication du foulard. À nos Pasionarias d’une saison, je dédie ces quelques mots d’Abraham Lincoln : « Vous pouvez tromper quelques personnes tout le temps. Vous pouvez tromper tout le monde un certain temps. Mais vous ne pouvez tromper tout le monde tout le temps. »