Jeudi 23 juillet, le Gouvernement canadien a jugé nécessaire de lever le moratoire qui protégeait de l’expulsion les ressortissants de trois pays africains : le Burundi, le Rwanda et le Libéria. Cela concerne environ 2 100 personnes susceptibles d’être renvoyés dans leurs pays d’origine respectifs.

Le Conseil canadien pour les Réfugiés a déploré la décision du Gouvernement de Stephen Harper qui justifie sa décision en ces termes : Après un examen attentif des conditions qui règnent dans ces pays et après consultations avec les intervenants, le gouvernement du Canada a pris la décision de lever la suspension des renvois vers ces trois pays. Cette décision est conforme à celle d'autres pays occidentaux qui renvoient également des personnes interdites de territoire vers le Burundi, le Libéria et le Rwanda.

Le renvoi des personnes se trouvant illégalement au Canada est essentiel au maintien de l'intégrité du programme d'immigration et au traitement équitable des personnes qui vivent légalement dans ce pays. Propos de Peter Van Loan, ministre de la Sécurité publique. Cependant, les personnes concernées peuvent présenter durant 6 mois une demande de résidence permanente au Canada pour des circonstances d’ordre humanitaire. L’histoire se répèterait elle ? Les Algériens ont connu cela en 2002.

"Aller simple pour l'abattoir1". C'est par ces mots durs et contestataires que Gil Courtemanche attire le lecteur ce samedi 11 mai 2002 dans l'édition de fin de semaine du quotidien Le Devoir.

Un mois plus tôt, le 5 avril 2002, venait d'être levé le moratoire concernant les ressortissants algériens établis au Canada. Gil Courtemanche dénonce cette mesure et réfute les arguments officiels avancés par le gouvernement fédéral : "Cette décision a été prise après une étude approfondie des conditions qui règnent dans ce pays"2. Le Ministre précise que cette prise de position appuie fortement l'intégrité des programmes d'immigration et de protection des réfugiés et qu'il veillerait à ce que les personnes non admissibles au Canada soient renvoyées rapidement tout en sachant qu'elles ne courent pas un trop grand risque dans leur pays d'origine. Il poursuit en expliquant que "cette décision reflète les conclusions de [son] évaluation selon lesquelles les citoyens algériens ne courent aucun risque en étant renvoyés dans leur pays. Le Canada a cependant continué de renvoyer les grands criminels et les individus constituant un risque pour la sécurité même si les renvois dans ces pays étaient suspendus temporairement." Le Ministre Coderre a souligné que le gouvernement du Canada " (...) s'engage à faire observer la loi, et le renvoi est une importante composante de la Loi sur l'immigration et espère que les individus visés par une mesure de renvoi se conformeraient à la loi et collaboreraient avec les autorités de l'Immigration concernées."

Ce moratoire, qui concerne également d'autres pays, a été mis en place pour l'Algérie le 3 mars 1997. Par l'instauration de ce dernier, le gouvernement canadien avait reconnu à ces Algérien(nes) le droit à la protection, en jugeant que la situation en Algérie était devenue dangereuse. Ces Algériens et Algériennes, non reconnus comme réfugiés, avaient donc le droit de demeurer légalement sur le sol canadien, sans avoir le statut de résidents ni de réfugiés politiques. Officiellement, les réfugiés Sans-statut n’ont pas accès au système d’assurance maladie du Québec, c'est à dire à la carte Soleil comme l'appellent les Québécois et à l'affiliation à la RAMQ (Régie d'Assurance Maladie du Québec), mais le gouvernement rembourse tout de même une partie de leurs frais médicaux. De plus, contrairement aux réfugiés reconnus ainsi qu’aux immigrants reçus, les Sans-statut ne se voient pas déchargés d’une partie de leurs frais de scolarité par l’État : ils doivent donc payer l’équivalent des frais dus par les étudiants étrangers, ce qui parfois pour les universités notamment se montent au triple du montant déjà très onéreux des frais traditionnels d'inscription. Leur statut provisoire limite également leur accès au marché de l’emploi. Ils ont le droit de travailler, cependant le "9" qui figure au début de leur numéro d’assurance sociale (NAS) signale à l’employeur potentiel la position juridique ambiguë dans laquelle se trouve le requérant. Comment trouver un travail stable alors qu’on n’a qu’un "statut" temporaire ? De ce fait, la plupart se voient contraints d'accepter des emplois à faible revenu qui exigent très peu de qualifications. Relégués dans la précarité et l’incertitude, les Sans-statut sont profondément ébranlés par l’expérience du déclassement social et le sentiment de perte de repères. Certains témoignages recueillis par le Comité des Sans-statut sont éclairants : "On est en train de vivre dans l’incertitude. [...] C’est une souffrance qui est là, qui est là sans cesse. Je ne peux pas passer un moment sans penser à ça ", raconte une mère de famille arrivée au Canada en 1996. " Ça me révolte ! [...] On est bien, mais au fond de nous on est stressé. Des fois le stress part, ça touche un peu la vie familiale, ça touche un peu les enfants. Des fois je perds les pédales, des fois je ne sais pas sur quel pied danser ! ". " De toute façon moi je ne quitterai pas le Québec même si on me coupe en morceaux. Je suis bien là. Je me suis sentie ici mieux que dans mon pays. [...] La rage que j’ai, c’est par rapport à l’immigration. Des fois je me dis : " ça va éclater ! " [...] Mais on n’a pas le choix. Mais maintenant jusqu’à quand ?3 ". Parmi les réfugiés algériens arrivés au Canada, quelques 1 040 personnes n'ont pas été reconnues comme réfugiés politiques par la Commission d'Immigration et du Statut de Réfugié (CISR).



Pourquoi, alors que la situation sécuritaire en Algérie n'était pas plus favorable en 2000 qu'à la date de la levée du moratoire, les autorités fédérales ont-elles choisi de suspendre cette protection et de renvoyer tous les ressortissants Sans-statut en Algérie ? La mise en place d'un moratoire pour un pays et ses ressortissants est soumise à des règles strictes dont les pouvoirs publics doivent tenir compte. Voilà ce que l'on peut lire sur le site officiel de Citoyenneté et Immigration Canada  : "La suspension temporaire des renvois est un processus qui permet de suspendre les renvois dans un pays lorsque les conditions qui y règnent mettent sérieusement en danger la vie ou la sécurité de la population en général. En principe, le Canada renvoie toutes les personnes considérées comme non admissibles. Cependant, des situations de guerre, des conflits civils extrêmes ou une catastrophe naturelle pourraient justifier la suspension des renvois dans certains pays. C'est le ministre qui décide de suspendre les renvois en fonction d'une recommandation des responsables du Ministère". Il est également mentionné que les personnes possédant un casier judiciaire lourd ou bien étant criminel de guerre ou pouvant présenter un risque grave pour la sécurité du Canada sont renvoyées. La levée du moratoire est demandée par Citoyenneté et Immigration Canada après l'étude des conditions qui règnent dans le pays en question, en collaboration avec d'autres ministères fédéraux, le Conseil Canadien pour les Réfugiés, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, des associations non gouvernementales, (ces organisations internationales ou non gouvernementales n'ont qu'un avis consultatif). Les facteurs pris en considération sont les suivants pour la levée du moratoire :

 

  • L'amélioration générale de la situation sécuritaire du pays,
  • La localisation de la violence et la sûreté dans les villes et les zones urbaines,
  • L'individualisation des facteurs de risques ainsi que la généralisation ou non de la violence dans le pays,
  • Le contrôle de tout le territoire par le gouvernement,
  • La sécurité des civils visés par l'armée et/ou par d'autres groupes armés.


Les individus qui font l'objet d'une mesure de renvoi du Canada ont quand même droit à l'application régulière de la loi canadienne précisent les autorités compétentes. Ils ont droit aux mesures de protection suivantes : "Ils peuvent demander la protection à titre de réfugié au sens de la Convention (s'ils craignent avec raison d'être persécutés); Ils peuvent demander l'examen des autres risques auxquels ils pourraient être exposés si on leur refuse le statut de réfugié et qu'on les renvoie (en vertu de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada); Ils peuvent présenter une demande pour demeurer au Canada basée sur des considérations humanitaires4".

L'Algérie correspondait-elle à ces conditions et répondait-elle à ces critères pour pouvoir lever le moratoire. Ces Algériens renvoyés risquaient-ils moins en étant expulsés en Algérie ? La question etait posée en ces termes. Denis Coderre y répondit ainsi : "Les Algériens ne courent aucun risque en retournant là-bas." Les Sans-statut, plusieurs personnalités canadiennes et québécoises, les Algériens du Canada répondirent le contraire. Il est à noter avec une triste ironie que le gouvernement auquel appartenait Denis Coderre déconseillait dans le même temps en ces termes le séjour de ses ressortissants en Algérie : "On recommande aux touristes canadiens de reporter tout voyage en Algérie. Les Canadiens qui s’y rendent pour affaires devraient examiner soigneusement les répercussions d’un tel voyage sur leur sécurité avant de décider de l’entreprendre, compte tenu des actes terroristes commis dans certaines régions de l’Algérie. […] Les déplacements en territoire algérien devraient se faire par avion. S’il est nécessaire de se déplacer par voie terrestre à l’extérieur d’Alger, il est recommandé de le faire au milieu de la journée et seulement après avoir vérifié si l’itinéraire prévu est sécuritaire. Les Canadiens ne devraient pas se déplacer par voie terrestre dans les régions éloignées du désert, entre les wilayas (districts) de Illizi, Tamanrasset et Adrar. Le terrorisme et le banditisme ont sévi surtout dans les chaînes de montagne situées entre Alger et Oran, le principal port du pays, à l’Ouest, mais aussi dans la région située immédiatement à l’Est d’Alger, entre Boumerdès et la région (wilaya) de Tizi Ouzou.5"  Ce double discours est à mettre en parallèle avec les actes du gouvernement canadien durant cette période et à ses prises de position tant sur le plan diplomatique qu'économique. A la surprise générale, Denis Coderre annonce cette mesure à la presse le 5 avril, dans le même temps, Jean Chrétien est en voyage officiel en Algérie (séjour du 6 avril 2002). Les échanges économiques canado-algériens grandissants et les pressions du gouvernement algérien sur la scène internationale, afin de s'offrir l'image d'un semblant de normalité démocratique et sécuritaire, ont sans conteste joué un rôle déterminant dans la décision du gouvernement canadien. Paule Des Rivières, journaliste au Devoir et éditorialiste, propose à la Une du quotidien montréalais cette analyse dans son éditorial du jeudi 10 octobre 2002. : "Sur le continent africain, l'Algérie est le partenaire commercial le plus important du Canada. D'ailleurs, la visite de M. Chrétien a coïncidé avec la signature d'un contrat permettant à SNC-Lavalin d'entreprendre des travaux de dérivation à partir de cinq barrages dans le but d'assurer l'approvisionnement en eau potable aux habitants d'Alger. Les mauvaises langues chuchotent qu'en levant le moratoire sur les renvois, le Canada a assuré le maintien de sa relation commerciale avec un pays dont la légitimité internationale a été très ébranlée au cours de la dernière décennie par des violations répétées des droits humains".

Les réactions officielles de l'Algérie vont dans ce sens : "Au consulat d'Algérie à Montréal, le chef de la représentation, Rachid Hadbi, considère «exagérées» les mises en garde d'Ottawa aux visiteurs canadiens qui désirent se rendre en Algérie. "La situation s'est nettement améliorée par rapport à la période où le moratoire a été décrété, confie-t-il à La Presse. Les gens circulent en Algérie. Des Canadiens et des Québécois d'origine algérienne nous demandent constamment des passeports et des visas pour aller en Algérie. Il reste certes quelques poches où il y a encore des problèmes, mais nous sommes en train de les régler. Ce n'est pas parce qu'il y a des endroits en Algérie où les terroristes sévissent que le pays n'est pas sûr6." Les autorités algériennes de l'Ambassade à Ottawa ont pour leur part accueilli avec satisfaction la levée du moratoire. "Politiquement, c'est un geste positif que nous apprécions, a souligné un porte-parole à l'ambassade d'Algérie à Ottawa. C'est une bonne nouvelle pour l'Algérie et pour la communauté algérienne également. Nous espérons que cela facilitera les choses notamment pour la délivrance de visas à partir d'Alger et non pas à partir de Paris, comme cela se fait présentement. La levée du moratoire nous aidera, on l'espère, dans nos démarches pour faciliter les déplacements de la communauté canadienne d'origine algérienne entre l'Algérie et le Canada." Déjà, lors de la visite d’Abdelaziz Bouteflika au Canada en mai 2000, le Président algérien avait abordé cette question et demandé la levée du moratoire qui donnait de l’Algérie l’image négative d’un pays livré à la violence et où il ne fait pas bon se rendre. La levée du moratoire, si elle a donné satisfaction au gouvernement algérien, ne fait pas l’affaire des réfugiés algériens Sans statut.

Nous verrons le mois prochain comment fut abordée cette question au sein de la société québécoise et qu’elles furent les formes de règlements et de contestation sur ce dossier.

 

Marion Camarasa - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

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[1] Inarticle paru dans Le Devoir, édition du samedi 11 et du dimanche 12 mai 2002. GilCourtemanche.

[2]"Denis Coderre, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada, a annoncé aujourd'hui que le Canada va reprendre sa pratique habituelle de renvoyer en Algérie les personnes qui ne sont pas admissibles au Canada. Cette décision a été prise à la suite d'une étude approfondie des conditions qui règnent dans ce pays et après consultation d'un certain nombre d'intervenants. Cette décision touche les ressortissants algériens qui voulaient demeurer au Canada, mais dont la demande, après une évaluation exhaustive, a été refusée. Cette décision n'aura pas pour conséquence des renvois par milliers, mais visera plutôt ceux qui ont épuisé toutes les voies d'appel et peuvent maintenant être renvoyés." Déclaration à la presse du Ministère Citoyenneté et Immigration Canada référence 2002 08.

[3] In Comité des Sans-statut, témoignages sur papier volant et sur leur site internet qui ne fonctionne plus à présent (2006).

[4] In site officiel du ministère des Affaires Etrangères du Canada.

[5]http://www.voyage.gc.ca/dest/report-fr.asp ?country=5000#1

[6] In Coderre vient en aide aux Seddiki-Bourouisa, Gilles Toupin et Agnès GrudaLa Presse, Montréal, mardi 22 octobre 2002.