L’émigration algérienne au Canada s’étale désormais sur plusieurs décennies. Les premières traces de ces arrivées datent des années 1940 dans la mémoire commune. Non encore Algériens (de nationalité), cette poignée d’hommes s’installa au Québec dans la province francophone.

Aujourd’hui, on compte plus de 50 000 Algériens au Canada, dont plus de 85 % dans la métropole montréalaise. Spécifiques à bien des égards, ces hommes et ces femmes offrent un regard et une coloration particulièrement enrichissante à cette société d’accueil. L’émigration s’est établie en deux phases distinctes, s’inscrivant pleinement dans l’histoire algérienne.

Les tourments politiques de ces dernières décennies en témoignent fortement. Ainsi après les évènements d’Octobre 1988 et la montée de l’islamisme politique et militaire des dernières années du XXème siècle, l’afflux d’une population algérienne au Canada a engendré une importante accélération de l’organisation communautaire algérienne au pays de l’Erable. De quelques centaines dans les années 1960 à près de 40 000 en 2000 l’émigration algérienne est devenue incontournable et visible plus spécifiquement au Québec. Cependant, la nature aventureuse et curieuse de cette émigration l’a conduite à explorer d’autres territoires au sein du Canada et notamment l’Alberta, province anglophone des prairies rattachée au royaume canadien en 1905. Quelle est l’histoire de ces Algériens venus au pays des bisons ? Nous allons tenter d’y répondre en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’une émigration très jeune dans l’histoire et qui n’a jusqu’à présent que quelques milliers de représentants en terre albertaine.

Alors qu'ils partagent un fonds culturel francophone commun et une langue commune au Québec, facteur très important si ce n'est majeur d'intégration dans une société, les Algériens choisissent cependant de traverser le pays et de débuter leurs nouvelles vies d'immigrants dans une société anglophone et loin du principal foyer d'installation de leurs compatriotes. Cependant ces personnes représentent un nombre très restreint à l'échelle de l'immigration totale du pays. Constituée d'un peu plus de 3 millions d'habitants (3 290 350 lors du recensement de 2006), l'Alberta fut pendant bien longtemps une destination peu prisée de la petite communauté algérienne établie au Canada. Mais le développement du commerce extérieur depuis la fin des années 1980 a poussé le gouvernement albertain à réaliser des partenariats avec l'Algérie et à s'intéresser à l'arrivée de ces émigrants.

En effet, le Ministère des Relations Internationales consacre une section complète à l'Algérie, à ses caractéristiques et aux perspectives commerciales qui s'ouvrent à l'Alberta. On découvre ainsi que le pétrole et le gaz naturel, le secteur de la construction, les ressources minières ainsi que les télécommunications sont des "opportunités émergentes". Il en est de même  pour le secteur agricole où l'on apprend que l'Alberta Economic Development identifie l'Algérie comme un marché potentiel prioritaire pour l'Alberta dans l'agriculture et l'agroalimentaire. L'Algérie est le 26ème partenaire économique de la province avec pour 2001, 84,9 millions de $can pour les exportations et 114,3 millions pour les importations. L'Alberta est devenue le premier partenaire provincial canadien pour l'Algérie. De multiples accords dans le domaine des hydrocarbures ont été conclus durant la décennie 1990/2000 en incluant le domaine de la formation et de l'éducation. Le Northen Alberta Instute of Technology a ainsi ouvert en 2001 un programme bilingue anglais/arabe et conclu avec Sonatrach (entreprise nationale algérien gérant les hydrocarbures) des contrats de stages en Algérie pour ses étudiants.

Malgré tout l'intérêt que porte le gouvernement albertain à ce pays et ses ressortissants, il est à noter quelques erreurs notables dans leur approche de l'Algérie. Ainsi il est fait mention, pour expliquer le tardif intérêt porté à l'Algérie que cette dernière, étant membre de la Francophonie, a focalisé ses échanges et ses intérêts pour le Canada sur le Québec. Or, l'Algérie a refusé ostensiblement de participer à cette organisation internationale jusqu'en octobre 2002 et n'y participe toujours pas officiellement en tant que membre permanent. La communauté algérienne est estimée à une centaine de personnes par les autorités provinciales, ce qui n'est pas le cas. En effet, selon les données chiffrées de Statistique Canada elle s'élevait en 2002 à 285 en ne prenant en compte que les personnes nées en Algérie.

Durant les trois premières décennies 1962-1992, l'installation en Alberta est très restreinte et ce chiffre s'élève à environ 20 à 30 personnes par décennie : ainsi entre 1961 et 1990 seulement 90 personnes nées en Algérie se sont installées en Alberta. Mais entre 1991 et 2001 le nombre a grimpé à 185; dont 140 entre 1996 et 2001. Il en est ainsi dans tout le Canada. La plupart de ces ressortissants sont des cadres supérieurs, des ingénieurs travaillant dans le domaine de l'industrie pétrolière. Ce sont en grande majorité des hommes jeunes, entre 25 et 45 ans. Mais de plus en plus de jeunes femmes, également hautement qualifiées, viennent rejoindre cette communauté. Elle est concentrée pour ses lieux de résidences, dans les régions métropolitaines de Calgary et d'Edmonton. La capitale Edmonton regroupe près de 135 canadiens d'origine algérienne et Calgary quant à elle abrite 155 personnes. Les villes et autres régions métropolitaines de recensement ne comportent guère d'autres Canadiens d'origine algérienne. Certains habitent "Fort McMurry d'autres Red Deer, Brooks, Banff,… Il y a beaucoup d’Algériens qui travaillent sur les chantiers pétroliers. D’après nos informations, à Calgary il y a environ 340 Algériens(nes) officiellement inscrits avec notre ambassade d’Algérie à Ottawa. Le nombre réel est plus grand. Nous estimons le nombre à  plus de 1 000 dans toute l'Alberta." C'est ainsi que nous a renseigné Djamel Madi1, Algérien de Calgary installé depuis plusieurs années après avoir obtenu un doctorat à l'Université Laval de Québec. "Au milieu des années 70 (vers 1976): il semblerait que des étudiants aient fait leurs études en Alberta et une poignée s’y est installée. Ceux la, pour leur majorité vivent discrets, complètement intégrés ou  assimilés.  Vers la fin des années 80 (vers 1989-1990), deux Algériens se sont installés à Calgary  (Rachid et Said); puis une vingtaine, voire une trentaine, d’autres sont arrivés à Calgary entre 1991 et fin 1996. Et graduellement les gens commencent à venir, surtout à partir de l’an 2000." La grande majorité de ces étudiants selon les observations des plus anciens membres de l'émigration algérienne en Alberta que Djamel Madi a questionnés pour nous ne sont pas restés dans la Province des prairies et ont durant les années 1970 et 1980 opté pour d'autres chemins de vie. Cette petite vague migratoire s'explique pour plusieurs raisons notamment celle avancé par les Algériens eux-mêmes : Par ordre d’importance

1. L’industrie pétrolière. La perspective de travailler dans son domaine pour les immigrants algériens spécialisés dans le pétrole.
2. La maîtrise de l’anglais pour ceux qui ont fait des études universitaires en anglais
3. Le boom économique de la province.
4. La présence d'une petite communauté algérienne

La tendance actuelle est l'arrivée de plus en plus pressante d'Algériens, souhaitant s'installer dans cette province. Certains remontent des Etats-Unis où le climat de tolérance s'est dégradé depuis les évènements de septembre 2001. D'autres arrivent du Québec en raison des difficultés d'emplois et de reconnaissance dans la Belle Province, car l'Alberta est en passe de devenir une destination prisée pour réussir son insertion professionnelle dans certains domaines bien spécifiques. L'émigration en provenance de France est en voie de développement pour certains jeunes Algériens diplômés et les débuts d'un choix albertain au départ de l'Algérie sont en expansion. L'Alberta est la province de l'ouest canadien qui a su développer une attractivité importante auprès de ces Algériens en quête d'une insertion professionnelle beaucoup plus facile qu'au Québec. En effet, les questions identitaires, telles que la place des francophones et des immigrants dans la société d’accueil ne sont pas du tout abordées de la même manière en Alberta et le poids de l’histoire ne vient pas perturber les relations humaines.

 

La communauté algérienne en Alberta présente une caractéristique spécifique depuis les années 1998-2000 contrairement au Québec. En effet, l’émigration algérienne au Canada depuis ses débuts est marquée par quelques facteurs dont ceux d’une masculinité très fort, d’une qualification très élevée et d’une scolarisation très supérieure à la moyenne. En Alberta il y a beaucoup plus de familles que de jeunes hommes célibataires. En effet, il s'agit pour une large part d'une seconde émigration, principalement du Québec vers l'Alberta durant cette période. "Il y a beaucoup de familles avec des enfants scolarisés. Les célibataires, incluant les jeunes femmes diplômées, représentent moins de la moitié" rapportent Djamel Madi et Mourad Fodil Cherif dans leur entretien déjà cité.

En Alberta, la spécificité de l'émigration fait que la très grande majorité des activités professionnelles des Algériens est tourné vers l'industrie pétrolière : "Sa caractéristique principale jusqu’à très récemment est une communauté de cadres (ingénieurs et techniciens supérieurs) de l’industrie pétrolière. Beaucoup ne parlaient pas l’anglais en arrivant". Les secteurs professionnels les plus investis par les Algériens de l'Alberta se rapporte bien évidemment à la nature du monde économique de la province qui est sensiblement différent de celui du Québec et du reste du Canada anglophone :

1. la grande majorité dans l’industrie pétrolière : exploration, petroleum engineering, pipelines, technical services, drilling, chantiers …
2. L’enseignement privé, garderies,
3. Les services : informatiques, construction, vente,
"

Toutefois, il s'agit de secteurs d'activité de pointe et très spécialisés à l'image de l'industrie pétrolière où de nombreux cadres algériens de l'entreprise nationale Sonatrach ont largement émigré vers l'Alberta.

Le phénomène d'accueil pour les étudiants algériens s'est également développé, bien que moins important qu'au Québec. Durant les années 1970 et 1980, ils formèrent une mini-communauté de quelques centaines de personnes qui, selon les plus anciens Algériens de Calgary, ont préféré retourner en Algérie une fois leurs études terminées. Une poignée est restée dans la province des prairies et est aujourd'hui totalement intégrée dans le paysage démographique albertain. Ils ne représentent toutefois qu'une vingtaine de familles environ.

Les questions identitaires, malgré une meilleure insertion sociale ne font pas défaut à la petite communauté algérienne de cette province. On y retrouve ainsi certains traits de l’émigration, cependant beaucoup moins marquée qu’à Montréal. Bien qu'elle n'existe pas en tant que telle dans les autres provinces, la diaspora amazigh tente de structurer et de représenter l'ensemble de ses membres au sein du Canada.  Ainsi, des liens étroits sont tissés entres les berbères de Colombie Britannique et de l'Alberta et les organismes québécois. Le mouvement de solidarité en faveur des évènements de Kabylie, développé à Montréal, a reçu de nombreux soutiens de la part des Kabyles de Vancouver et de Calgary. La revendication d'une identité berbère se remarque également en dépouillant les résultats du recensement canadien. Ainsi, à la question à quelle origine ethnique appartenez-vous ? une grande moitié des Algériens de Colombie Britannique et d'Alberta se déclare berbère. En Alberta, il s'agit de près de 40 % de la communauté (36,84 %), en Colombie Britannique, un peu plus de 30 % (31,77 %), alors qu'à Vancouver, ils sont plus de 62 % (62,26 %) à se déclarer d'origine ethnique berbère plutôt que algérienne. On s'aperçoit ainsi de l'importance de cette identité et de sa forte revendication. Mais il est à noter que les évènements de ces dernières années en Algérie et en Kabylie,  ont exacerbé les choix identitaires. On retrouve ainsi dans cette communauté les lignes de fractures de la société algérienne partagée entre les identités linguistiques revendicatrices de projets de sociétés bien distincts.

Durant ces dernières années, le monde algérien de l’émigration a du faire face à une sur-médiatisation au Canada avec la suppression par les autorités gouvernementales fédérales du moratoire contre l’expulsion des Algériens instaurés en 1997. Cette affaire des Sans-statut n'est pas sans avoir touchée l'ensemble du monde algérien de l'émigration au Canada. Djamel Madi nous a confirmé l'existence de Sans-statuts en Alberta sans qu'il y ait eu de mouvement de solidarité structuré comme au Québec : "La solidarité en Alberta existe avec Les Algériens Sans-statut. Il y en a eu quelques-uns et notamment venus de Vancouver. Mais il s'est agit d'une solidarité personnelle dans le cadre de relations individuelles. En effet, il n'est pas envisageable de soutenir des islamistes qui constituèrent une part de ces sans-statuts et l'on ne peut s'engager dans une action solidaire sans en connaître les réalités. Toutefois la solidarité s'est développée en Alberta autour de personnes identifiées et reconnues.2"  Ce point de vue et cette explication symbolise pour une large part le point de vue de nombreux membres de cette émigration algérienne qui souhaitent, une fois installés en sécurité au Canada, oubliés les déchirements et les luttes politiques algériennes. Toutefois, du fait du faible nombre de représentants algériens en Alberta et de leur visibilité restreinte, nous n’avons pu trouver trace de reportages ou d’articles sur cette question dans la presse télévisuelle et radio.

L'Association des Algériens de Calgary fondée en 2005, fait preuve d'un dynamisme dans le Canada anglophone en offrant un point de rencontre et d'attache à ces Algériens de l'Alberta. Elle symbolise également la vitalité et le besoin de rassemblement du migrant dans un environnement autre. Cette association est alors le reflet et la vitrine de ce que peuvent apporter ces Algériens, riche d’une culture méditerranéenne, dans une société anglophone sur des points bien éloignée de la leur.


Marion Camarasa
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[1] Tous les extraits sont issus d'une correspondance et d'une conversation téléphonique avec Monsieur Djamel Madi, novembre 2006.

[2] Entretien avec Djamel Madi, novembre 2006.