Ou l’autre revers de la chronique de la vie montréalaise à la télévision algérienne.

Larbi Akeli, un médecin spécialiste d’origine Kabyle. Il était professeur à l’université de Tizi-Ouzou et chef de département du pavillon des maladies infectieuses de l’Hôpital universitaire de la même ville. Ce quinquagénaire menait une vie de roi mais pas à l’abri d’un appel au cercueil.

Possédant une petite villa de l’ère coloniale, en fait, un petit château ancestral dont le garage s’ouvrait, eh oui,  automatiquement en appuyant sur un bouton de la télécommande.  Beau comme un ange, les yeux bleus et la peau blanche, il passait pour un occidental.  Dans le quartier des Gênets, on l’appelait le Roumi.  Toutefois, il passe inaperçu au pays de l’érable, du froid et de la poutine.

Au Québec, Larbi est arrivé au début des années 90.  Son objectif était de mener une vie libre, amorale, et osée de souveraineté loin des menaces, des interdits, des prohibitions et des lances-appels des muezzins. 

Sa femme Taoues, une belle pitoune, aux cheveux blancs, à côté de sa beauté, le soleil se gêne de se montrer le nez.  Quand elle passait, l’auditoire des cafés suivait ses mouvements comme une balle de tennis lors d’un match au Rolland Garros.  Architecte de formation et spécialiste dans la revitalisation et la restauration des ouvrages classés patrimoine mondial.  Pour une intégration réussite, elle s’est inscrite à l’INRS Urbanisation de Montréal pour une maîtrise où elle passe, à peine deux mois, et elle fût recrutée par une entreprise prestigieuse spécialisée dans la consultation et le design immobilier.

Larbi a accepté son destin et avec humilité à s’accommoder raisonnablement aux tâches et aux rôles de la gestion du foyer et de s’occuper de l’éducation de ses deux filles; Malika 15 ans et Lidia 7 ans, et ce, en attendant le dénouement de son cas de lutte pour une équivalence.

Les années passent, un rituelle s’installe et un mode de vie nord américain teint le quotidien des Akeli dans leurs pays d’adoption.  Quand Taoues rentre à la maison, après une longue journée de travail, claquée et fatiguée, elle trouve sur la petite tablette du salon un mémo gentil de sa douce moitié Larbi l’informant de l’endroit où ils se trouvent, le père et les deux filles.

Larbi rentre, comme d’habitude, les deux mains pleines de commissions.  Sacs d’épiceries, une baguette française, un sac brun de la commission des liqueurs et une idée culinaire pour le souper.  Face à un spectacle inattendu, il trouve Taoues, sur un tapis en direction du 58,70 degré nord est.  Il reste debout et figé à côté de la porte en regardant les mouvements de la prosternation de la femme dont le visage illuminait à travers un foulard couvrant sa tête.

Un salut à droite et un autre à gauche.  Les deux mains se collent et se lèvent vers les cieux, s’abattent pour essuyer le visage et ramassent  dans leur passage le tapis à terre. Larbi passe à la cuisine, dépose ses achats sur la table et sort le poêlon pour dorer les filets de poisson.  Taoues le rejoint discrètement et enfile ses mains autour de la taille de Larbi en déposant sa tête sur son omoplate.  Aucune question, aucun interrogatoire juste un petit soupir pour dire, avoir su, j’aurais acheté une petite bouteille de vin.

C’était succulent et savoureux.  Les filles n’arrêtaient pas à remercier Larbi.  Elles se lèvent et commencent à débarrasser la table en suivant les indications de la mère. Larbi revêt sa veste, met dans son bec une Benson & Hedges et sort la griller sur la Promenade Fleury.

À côté de Jean Coutu, il se fait interpeller en arabe par un passant perdu cherchant la clinique chiropratique. Larbi avec un beau sourire lui indique le chemin et tout de suite revendique la réponse de la question lui trottant et titillant sa cervelle. Me connaissez-vous?  Étiez-vous un de mes patients à Tizi-Ouzou?  Le bonhomme s’éclate de rire et confirme qu’il n’est pas Zouaoui et qu’il n’a jamais mis les pieds au bled Kbayel. Il enchaine ensuite pour satisfaire la soif de l’homme. Dans les pays des Gaouris ou des Roumis, on n’embrasse jamais notre main après avoir gratté l’œil mais au pays des fennecs, c’est une coutume légendaire.

Une sympathie s’installe et le monsieur se fait accompagner par Larbi jusqu’à la porte de la clinique.  Par malheur ou par concours de circonstances, la porte était fermée et une pancarte indiquait que le centre est en rénovation.

Les nouveaux amis s’installent au bistro d’en face et la relation commence à se développer.  Le gars s’appelle Miloud Hadefi, aucun lien avec le défunt Kaiser du MCO qui a été gratifié par l’emblème brésilien Pelé.  Miloud est un avocat de formation.  Il est arrivé en 1997 accompagné de sa femme, ses deux garçons et sa fille.  Il n’avait rien à faire dans un bled corrompu où le droit minimal de vivre dignement est bafoué. 

C’est un gars d’Oran où il a roulé sa bosse entre le palais de justice, l’université et les entreprises.  Il a compris à un moment donné que son métier est un décor, qu’il n y a pas de place aux hommes de principes et de fondements forts, il faut laisser la place et quitter afin de prendre en main son sort.

Miloud interpelle pour une deuxième fois Larbi pour lui demander s’il était l’enfant unique. Larbi s’étonne et tout de suite Miloud le rassure. Je ne suis ni voyant ni devin, précise Miloud.  Il continue, «  dans un temps passé, les mœurs et traditions algériennes et spécifiquement celles des Kabyles étaient mon hobby de divertissement.
Pour les mères qui n’arrivaient pas à garder en vie un enfant après sa naissance, il fallait, pour ces pauvres femmes, qu’elles trouvent une ruse pour que la mort dédaigne, déplaire ou tout simplement déteste leurs bébés.  Il y a eu Aberkane qui veut dire noir, Atetouh qui veut dire petit et Larbi désignant l’acerbe affreux colonisateur.  Larbi était une sorte de guigne ou poisse utilisé comme chasse de mauvais sorts.

Nous sommes ici et nous sommes là.  Nous sommes loin de là bas.  Loin du dérangement et loin de l’indifférence.  Nous avons probablement, les mêmes problèmes familiaux de là bas, les mêmes histoires de couples et sans doute les mêmes complications.  La différence, c’est que là bas, tout est dorloté et couvé.  Ici, nous prenons notre destin en main.  Ici, nous comptons sur le sens et la raison.
Le risque que notre progéniture tombe dans la drogue, dans les fléaux sociaux et dans la zone grise interdite est pareil et le même que celui de là bas.  Au moins ici, il y a l’avantage des ressources d’aide, l’avantage du soutien et l’avantage de l’encadrement.  Là bas, c’est l’injection, c’est le rejet, c’est l’expulsion et c’est l’évacuation comme on tire sur une chasse d’eau.
Nos femmes ont le plein droit de vivre et de s’épanouir.  Elles étaient longtemps privées d’un droit de parole.  Il n’y a aucune peur.  Elles sont canadiennes made in Algeria.  Si elles bifurquent ou s’éloignent de la ligne directrice, l’origine leur fait appeler à la raison.  Elles nous mâchent sans crainte de nous avaler.
»

Soudainement, une femme voilée s’approche de la table, tire une bûche et s’assoie. C’était Taoues. Elle s’inquiétait pour Larbi qui a pris du temps à revenir après sa cigarette.

Si on est chevronné et par malchance on embrasse l’échec à chaque tentative entreprise, c’est indécent de généraliser notre échec personnel.

Lahouari Belmadani - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.