Compatriotes, laissez-moi vous dire mon dépit. La colère me submerge. J’ai été trop crédule : le 9/04, j’ai voté. À présent, ce jour, je le vis comme un attentat, un attentat à ma dignité d’Algérien. Le début d’un nouveau calvaire. Si seulement c’était à refaire…!

Compatriotes, aujourd’hui, quand je comprends les souffrances de la majorité silencieuse, quand je vois plus clair, je reconnais mon erreur : j’ai pensé à moi avant de penser à la collectivité. Je comprends mieux ce qu’a été le 9/04. Je vous dois des excuses.

Pardonnez-moi, j’ai été dans le cortège de bus envoyés par le consul. Cela faisait tant d’années que je ne me suis pas permis une randonnée. Je ne sors presque plus de mon foyer SONACOTRA. Vous comprenez : c’était une occasion tombée du ciel. Traverser gratuitement le Vaucluse et revoir ses châteaux et monts, c’est tellement enivrant! Je vais bientôt prendre ma retraite. Je compte passer mes derniers jours au bled. J’ai cru ceux qui m’ont promis de transformer l’Algérie en un havre de paix.
De même, je n’ai pas pensé aux disparus, à leurs familles, à ceux qui sont tombés sous les balles assassines, à Matoub, Alloula et les autres. Le jour des élections, comble de l’ignorance, j’ai même oublié le sacrifice de Mohamed Boudiaf. J’ai tout oublié, jusqu’au fait qu’il a tenu tête à la promotion Lacoste. Au moment de voter, les images d’Annaba étaient comme enfouies. Elles s’étaient évaporées dans le climat surréaliste qu’ils ont réussi à créer autour du scrutin.

Pardonnez-moi, je n’ai pas cru un mot, quand mon voisin tunisien m’a parlé de sa compatriote. Celle qui a été refoulée de l’aéroport d’Alger. C’est une fille de bonne famille pourtant cette Sihem Bensedrine. Mais elle a donné quelques frayeurs à nos décideurs. Ne devait-elle pas rester chez elle en ce funeste 9/04? Elle ne savait probablement pas de quoi est capable la voyoucratie. En tout cas, moi aussi je n’en avais aucune idée avant jeudi passé.
Je ne pouvais deviner, comme certains de mes concitoyens, que le taux de participation allait être gonflé d’une façon aussi éhontée dans les laboratoires du ministère de l’Intérieur. Plus de 90% de votes favorables, parait-il…C’est beaucoup. L’usine à fabriquer des chiffres du ministre a bien carburé! Dans quelques années, le président pourra toujours dire qu’il s’était trompé…Il me semblait que ces méthodes étaient révolues. Le génial Yazid n’est pas allé de main morte. Grâce à lui, la Corée du Nord n’est qu’à quelques encablures. À dire vrai, comparé à lui, Machiavel est un enfant de chœur…À sa mort, je pense qu’on devrait baptiser de son nom le métro d’Alger. Encore une fois, j’ai cru à ses promesses. On ne m’y prendra plus.

Pardonnez-moi, j’ai eu peur. Et la peur est mauvaise conseillère. Alphonse Daudet n’écrivit-il pas : « Où serait le mérite, si les héros n'avaient jamais peur? »? Vous voyez bien que la mine sourcilleuse de notre vieux-nouveau président n’augure rien de bon. Nos dirigeants sont tellement revanchards. Ils sont capables de toutes les horreurs. Rappelez-vous Melouza. Leurs sourires gênés cachent mal leur haine de l’élite bien pensante. Je ne veux pas faire partie des milliers d’Algériens errants aux quatre coins du globe. Je tiens tant à mon passeport et à ma carte d’identité. Je ne veux certainement pas partager le sort des pieds-noirs. Mon cœur ne tiendrait pas le coup.
Compatriotes, j’ai succombé aux images de la télévision officielle, notre chère ENTV, l’ex-RTA pour les anciens. Comme notre vieillard de président, de l’immeuble inauguré à Ouled Yaich, je n’ai vu que la façade nouvellement peinturée. À force de nous bombarder d’images de notre rais, je n’ai pas eu le temps de retenir le nom d’un quelconque lièvre. La seule candidate, disciple ratée de Trotski, m’a paru malhonnête. D’ailleurs, Trotski aussi l’était.  J’avais compris que, le président parti, c’est la guerre qui nous attend. Le dernier gage de stabilité s’évaporerait comme du camphre. Les lièvres allaient se dévorer. Le peuple se préparait à un hara-kiri collectif. 

Pardonnez-moi, il me semblait que boycotter était un acte dont seuls les mécréants en étaient capables; un acte abject contraire aux lois terrestres et divines. C’est ce qu’on m’a dit. Vous savez : c’est un mot que j’ai rarement entendu. À la SONACOTRA, on opère avec un autre jargon. Le boycott, ça fait trop Mai 68.  
En guise de rédemption, je vous promets que, dorénavant, je boycotterai ceux qui m’ont berné et gardé dans l’ignorance. Durant les cinq années à venir, je ferai du boycott une mission et du noir ma couleur. Je boycotterai le président, sa république bananière, le ministère de l’Intérieur, l’ENTV, El Moudjahid et la panoplie de journaux bidon qui ont poussé comme des champignons, ainsi que toutes les mascarades à venir. Je rejetterai une amnistie qui s’apparente plus à de l’amnésie. Je me détournerai des slogans manipulateurs qui ont fait florès tels « Hizb França », « Traîtres à la Nation » et je ne sais quoi…À ces étiquettes haineuses, je répondrai : Je boycotte, donc j’existe!
Je vous promets de ne plus jamais ouvrir un livre de Yasmina Khadra. J’ai toujours eu une aversion pour la langue de bois, surtout quand il s’agit d’absoudre un gars de sa région de ses crimes et maladresses. Il n’y aura pas de place dans ma bibliothèque aux équilibristes sans scrupules. Les mégalomanes peuvent causer la perte de toute une nation. Boualem Sansal et ses magnifiques oeuvres suffiront à mon bonheur.
Aussi longtemps que durera la culture de l’impunité et de l’arbitraire, je serai lucide. Promis.

Arezki Sadat (Chroniqueur/Collaborateur)