Mi-février. Le vendredi 13 est passé sans la moindre turbulence. L’hiver commence à montrer des signes de lassitude. Même le soleil a fait une apparition furtive. Il semble que rien n’est en mesure de mettre fin à ma quiétude ni froisser ma bonne humeur de citadin pris dans l’engrenage boulot-métro-dodo. En attendant les impôts.


C’était sans compter avec l’ardeur de notre chère chaîne Radio-Canada. Sur les conseils d’un ami, l’un de ceux qui ont préféré passer leur congé paternel devant la télé, j’ai décidé de déroger à mes habitudes d’auditeur attitré de la célèbre Al-Jazira et de la francophone TV5.

En ce début de semaine, non sans un certain dépit, j’ai délaissé mes émissions préférées l’espace de quelques minutes, mon ami m’ayant promis une nouvelle sensationnelle sur « notre » chaîne publique. Il parait qu’on aura droit à une sacrée révélation, du genre de celles qui commencent par le fameux refrain du service d’information de la chaîne publique « Radio-Canada a appris… ».
À 21 heures, ponctuellement, l’info sur l’enquête du siècle est tombée. Cette fois, c’est une frêle journaliste qui en est la dépositaire. J’ai eu le temps de retenir son nom rappelant la Galicie ukrainienne. Elle est tombée sur une véritable « Maghreb connection » version féminine. Le scandale de la Caisse de dépôt et de placement est déjà loin. Une nouvelle affaire d’État en perspective!

On apprend donc que des essaims d’immigrantes font le voyage aller-retour au Québec dans le but d’accoucher d’un petit Canadien. Comme souvent, les rôles les moins désirables dans cette nouvelle saga sortie tout droit des tiroirs de Radio-Canada sont réservés à des citoyen(ne)s du Maghreb. Bien sûr, on a droit à la sempiternelle emphase « surtout des Maghrébines »…

Ainsi, nos compatriotes ont décidé de booster le taux de natalité défaillant au Québec. On devrait saluer le courage et, surtout, le génie de ces femmes qui désirent offrir à leur progéniture des passeports canadiens. Au lieu des éloges de circonstance, elles ont droit au prime time de Radio-Canada. Accoucher dans un pays qui a grandement besoin de bébés n’est-il pas un acte héroïque? Pourtant, nombreux sont ceux qui envient à l’imprenable forteresse France ses résultats actuels en matière de procréation. En Hexagone, les faibles taux d’il y a quelques années ne sont qu’un lointain souvenir.

Laissons les problèmes démographiques à nos dirigeants et essayons de comprendre l’acte d’une touriste qui cherche à mettre au monde un petit Canadien, un petit harraga immunisé contre tout, excepté le réchauffement du globe. Le passeport avec la feuille d’érable a toujours été un document ardemment désiré par le commun des mortels. Ceux de l’hémisphère sud, cela s’entend... Quelle personne ne voudrait pas d’une aubaine qui offrirait à son enfant liberté de mouvement et garantie sécuritaire. Ce n’est certainement pas la prostituée d’Odessa ou d’ailleurs qui dirait le contraire. Ni le paysan quechua du Pérou ou de Bolivie; ni l’ex-boat people vietnamien; ni le Juif argentin qui a fui la crise financière rampante.

Tout journaliste devrait savoir que des brebis galeuses, il y en a dans toutes les communautés. Et la représentante de la chaîne publique devrait s’intéresser de temps à autre à sa communauté d’origine. Elle pourrait nous réchauffer des plats qu’on a vus chez d’autres. Elle pourrait peut-être dénicher de faux CV, de faux diplômes, de fausses barbes ou de faux cils. On le sait : corruption rime avec faussaires! 
Qu’à celà ne tienne, la Maghrébine a toutes les raisons du monde pour procurer à son enfant un passeport synonyme de garanties sécuritaires. Plus qu’aucune Occidentale. Ceux qui vivent dans un pays, où les attentats et les atteintes aux droits de l’Homme sont monnaie courante, savent de quoi je parle. Ces raisons sont d’autant objectives que les apprentis dictateurs d’Afrique du Nord jouissent de la complicité des démocraties occidentales. Chez nous, la démocratie n’est pas pour demain. Il faut se débrouiller avec ce qu’on a...

Je ne peux que m’opposer à cette tradition qui veut que tous les maux dont souffre le Québec soient reliés à la communauté la plus vulnérable et la moins bien organisée. Ne nous leurrons pas. Le changement dépend aussi de nous. Tant que nos leaders, autoproclamés ou non, s’évertuent à s’éviter et à éviter les débats, la communauté maghrébine servira toujours de souffre-douleur. Tant que nous n’aurons pas de représentants au sein des médias de la Belle Province, nous continuerons de subir l’information. Pas celle qu’on aimerait entendre, mais celle qui laisse des traces sur plusieurs générations.

Arezki Sadat (chroniqueur/collaborateur)