Benoit Labonté a choisi le plus grand réseau de télévision publique pour passer aux aveux. Des aveux incomplets, mais qui ont suffi à jeter le discrédit sur une élite politique québécoise qui n’a pas fini de boire son calice.

Il convient d’emblée de préciser que le prolixe Labonté n’est pas n’importe qui. Voilà quelqu’un qui a longtemps fait partie du cercle fermé des intimes du maire de Montréal, Gérald Tremblay, avant de passer dans le camp adverse non sans quelques fracas. Durant ce temps, où il a flirté avec le pouvoir municipal et les honneurs, Labonté a surtout entretenu des relations privilégiées avec le monde de l’argent, essentiellement avec des entrepreneurs du secteur de la construction, Tony Accurso inclus.

Labonté accuse
La façon avec laquelle le désormais ex-adjoint du maire et de sa rivale, Louise Harel, a géré les derniers soubresauts de sa carrière est des plus rocambolesques. D’abord, il a rejeté en bloc les révélations sur des fonds obtenus par sa formation comme « cadeau » de la part d’Accurso, induisant en erreur sa cheffe. Celle-ci ne décida de le lâcher qu’après son refus de répondre aux injonctions d’une télévision privée. La réaction de Labonté ne se fit pas attendre : il accorda à une journaliste de Radio-Canada un entretien qui fera date dans l’histoire de la politique québécoise. Et pour cause, l’ancienne étoile d’Union/Vision Montréal déballa (presque?) tout.

Les accusations proférées par Labonté peuvent s’avérer salutaires pour le monde de la politique. Son « Je ne tomberai pas seul » laisse présager d’autres rebondissements dans une affaire aussi scabreuse que dégoûtante. D’autres têtes devraient tomber, certaines sitôt les élections de dimanche prochain terminées. Bon débarras.
Comme pour contredire son ancien chef, le maire en personne, Labonté ne s’est pas contenté de rumeurs. Il a évoqué des rencontres, cité des noms, dont celui de Bernard Trépanier, un ancien collaborateur du maire et ex-directeur de financement d’Union Montréal, et mentionné des sommes d’argent qui ont transité comme ristournes entre des entrepreneurs et des hommes politiques. Assez pour déclencher un véritable raz-de-marée. 

Les derniers scandales qui ont touché le monde de la politique et les syndicats de la construction renvoient aux mêmes mécènes, Tony Accurso et son alter-ego dans la couronne Nord, Lino Zambito. Si le premier s’et offert un quasi-monopole sur les contrats sur les marchés montréalais et lavallois, le second a failli à lui seul décider des résultats des élections municipales dans la ville de Boisbriand. Il se trouve que la firme de ce même Zambito, Infrabec, a empoché plus de 50% de tous les contrats dans la petite ville des Basses-Laurentides au cours des cinq dernières années, incluant celui de la réfection de la station d’épuration d’eaux usées. Un peu louche…Ce n’est pas la pseudo-ignorance de la mairesse locale qui nous fera dire le contraire.

Les conséquences de la mainmise de réseaux mafieux sur un secteur névralgique de l’économie de la province sont visibles à l’œil nu : nulle part ailleurs au Canada, le prix de revient des infrastructures routières n’est aussi excessif. Ainsi, les prix gonflés pratiqués dans la Belle Province font que l’infrastructure locale se trouve dans un état lamentable. On s’étonne après que des ponts s’affaissent ou des blocs de béton nous tombent du ciel! L’argent des contribuables est dépensé à l’emporte-pièce. Que peut penser le bénéficiaire de l’aide sociale qu’on « vérifie » jusqu’au dernier sou avant de lui envoyer son premier chèque?

En suivant les derniers remous dans le monde de la politique locale, je n’ai pu m’empêcher de me poser une question d’un tout autre genre : est-ce que la diversité dont s’enorgueillit le Québec se limite à des échanges « sous la table » entre Québécois de souche et italophones?
Lors du dernier « Débat des chefs », il était vain de chercher le moindre représentant des communautés culturelles, aussi bien parmi les candidats au poste de maire qu’au sein des journalistes et autres analystes couvrant la campagne électorale. Une rare fois, le maire sortant a évoqué la question de la diversité, en nous servant sa sempiternelle affirmation : « La ville de Montréal est fière de sa diversité ». Fière jusqu’à la cacher loin des regards! Fumisterie électoraliste, comme dirait une vieille connaissance…

Des connivences pernicieuses
À tous les paliers, l’option libérale est tombée dans son propre piège. Je m’explique :
Il faut être aveugle pour ne pas s’apercevoir qu’Union Montréal des frères Tremblay a misé uniquement sur trois communautés, les moins visibles et les plus puissantes sur l’ile de Montréal. À l’ouest, la communauté juive y est bien implantée. À l’est, le choix s’est porté sur les Italiens. Le tout est chapeauté par le mainstream québécois. Un Libanais par là, un représentant de la communauté noire, de préférence une jeune femme, et le tour est joué. Le népotisme s’est propagé à vive allure derrière les murs de Montréal et nos « Jean Sarkozy » se comptent par dizaines, si ce n’est par centaines. Il ne faut pas s’étonner après que des sujets cruciaux soient débattus sur le Touch, le splendide yacht d’Accurso.

Le même schéma est reproduit au niveau provincial. En 2007, quand le premier ministre Jean Charest a délogé Lawrence Bergman du ministère du Revenu, la communauté juive n’a-t-elle pas menacé de soutenir l’Action démocratique du Québec de Mario Dumont qui avait alors le vent en poupe? Aujourd’hui, Bergman est chef du caucus libéral avec un siège au Conseil des ministres. Les Italiens également ont leurs représentants. Les choses ne diffèrent nullement chez les Libéraux fédéraux.
Cette situation, peu démocratique soulignons-le, favorise toute sorte de collusions avec le monde de l’argent et engendre des scandales à répétition. Celui très sombre des commandites a dévoilé l’utilisation à mauvais escient de la clé ethnique dans le gouvernement libéral. C’est le côté pervers d’une politique inclusive…choisie. Le souvenir des Galgiano, Morselli et autres Wajsman n’est finalement pas aussi lointain que cela.   

Certaines communautés ont bien compris cela, notamment les Latinos et surtout les Grecs qui, ces dernières années, se sont grandement rapprochés du Parti Conservateur, actuellement au pouvoir à Ottawa. Ainsi va le Québec de la diversité.
Les Maghrébins, par contre, nous les retrouvons dans les partis les moins nantis : le Nouveau Parti démocratique de Jack Layton ou, au niveau municipal, à Projet Montréal. Il faut reconnaître que plusieurs de nos représentants, exclusivement des Marocains, sont présents sur la liste électorale dirigée par Richard Bergeron. Projet Montréal leur a ouvert les portes, comme pour les Haïtiens ou d’autres communautés qui se sentent lésées par la configuration actuelle. Un léger vent de renouveau dans le paysage sclérosé québécois. 

Il n’est pas dit, cependant, que la clé ethnique est un gage de réussite pour les formations aspirant à l’exercice du pouvoir. À quelques reprises, j’ai accompagné de jeunes candidats à des postes de conseillers ou de maires dans des mairies d’arrondissement durant leurs portes-à-portes dans des quartiers du nord de Montréal. De nombreux immigrants y vivent : Italiens, Grecs, Maghrébins, etc. De mes observations, j’ai retenu l’indignation de ce Québécois d’origine italienne qui, dans un français teinté d’accent napolitain, m’a assuré que son vote n’ira pas pour un parti englué dans des scandales de corruption, même s’il puise ses membres dans sa communauté.

J’ai le sentiment que quelque chose est en train de changer. N’espérons pas l’apparition d’une nation arc-en-ciel, mais les nombreux scandales politico-financiers pourraient se révéler une chance pour les minorités visibles. Ceux qui nous dirigent ou espèrent le faire dans un avenir proche ou lointain comprendront peut-être que le temps des connivences est révolu. Pour le bien des Québécois de toutes origines.
Avant cela, une enquête de grande envergure s’impose pour en finir avec un fléau systémique dominé par des pratiques népotiques, même si celles-ci ont pour nom « réseautage ». Des pratiques à combattre, car elles freinent des minorités visibles regorgeant de talents et de compétences. 

Pour accélérer le changement, il faut du cran. Malheureusement, jusqu’à présent, on n’a pas vu les associations maghrébines prendre la parole dans le débat sur les dépenses publiques. Les « leaders » algériens, par exemple, préfèrent se consacrer aux festivités entourant le 1er Novembre. Rien d’autre ne les intéresse. À chacun ses mensonges...