Le scandale du viol de deux Algériennes par Andrew Warren, le chef de la section d’Alger de la CIA (Central Intelligence Agency), a révélé à l’opinion publique l’existence de cette antenne secrète. Certains segments de l’opinion, à travers leurs commentaires sur les forums ou les discussions publiques, se sont dit « choqués » par cette délicate présence de la CIA, la principale agence américaine de renseignement, fer de lance des opérations clandestines à travers le monde et héritière d’une sulfureuse réputation. Alors, unequestion se pose : que fait la CIA en Algérie ? Depuis quand est-elle installée ici ?

 

Comment s’organise le travail de renseignement de l’agence américaine à Alger ?

« Ce n’est pas un mystère pour les services algériens, heureusement ! », nous déclare un ancien cadre de nos services secrets. « La présence de la CIA, à travers quelques agents qu’on appelait des ‘‘experts’’, remonte à plusieurs années, lorsque l’Algérie faisait face à la montée des islamistes puis à la violence terroriste », poursuit-il. D’autres sources avancent l’année 1987 comme date d’installation de cette section au niveau de l’ambassade américaine à Alger. A cette époque, les relations entre services de sécurité algériens et occidentaux n’étaient pas aussi constructives qu’après le 11 septembre 2001.

« On échangeait des renseignements, des fiches signalétiques d’individus suspects ; ils regardaient de près nos méthodes, mais lorsqu’on avait réellement besoin d’un vrai apport face à nos urgences, ils s’excusaient et se cachaient derrière leurs pouvoirs politiques dans les capitales occidentales qui, à l’époque, voyaient la menace terroriste comme lointaine », explique la même source. Rencontré à quelques mois des attentats du 11 septembre 2001, un haut officier des services algériens ne disait pas autre chose : « Nous espérons que les Américains et les Européens réalisent des avancées concrètes dans le cadre d’une coopération durable et non conjoncturelle. »

Les attentats du 11 septembre à New York et à Washington ont marqué un important tournant de cette coopération entre services occidentaux et algériens. Et lorsque début 2003, une délégation du FBI, de la CIA et de la NSA (chargée, entre autres, de l’intelligence satellitaire et électronique) a effectué une visite secrète à Alger pour rencontrer des hauts cadres de l’armée et des services, l’attitude américaine de coopération a commencé à transformer les vœux formulés par notre officier supérieur du renseignement en « avancées concrètes ». La même année, le rapport annuel du département d’Etat américain reconnaissait en l’Algérie un « leader régional agressif » au sein de la coalition mondiale de l’antiterrorisme.

Coopération tous azimuts

Les signes du rapprochement entre les appareils militaires et d’intelligence algérien et américain n’ont cessé de se succéder : séries de manœuvres militaires conjointes (Flintlock 2005 au Sud) ; visite au Pentagone du général-major Ahmed Senhadji, secrétaire général du ministère de la Défense, en mai 2005 ; visite à Alger, en juin 2005, du général James L. Jones, commandant suprême des forces américaines en Europe (Eucom) ; visite, en octobre 2004, du coordinateur du bureau de lutte contre le terrorisme au département d’Etat, Coffer Black, ancien directeur de la CIA, et du général Charles F. Wald, commandant adjoint des forces américaines en Europe en septembre 2003.

Le 5 juillet 2005, le président George W. Bush écrit à son homologue algérien : « L’Amérique continue de compter sur l’Algérie en sa qualité de partenaire de grande valeur dans la lutte contre le terrorisme et dans notre objectif commun de promouvoir la démocratie et la prospérité dans votre région ainsi que de par le monde. » En avril 2008, Robert Mueller, le directeur du FBI (Federal Bureau of Investigation) annonce devant le Congrès américain l’ouverture d’une antenne de ses services à Alger. Le numéro 1 du FBI déclare aux congressmen : « Nous sommes très inquiets sur le fait qu’alors que ses capacités (d’Al Qaïda au Maghreb) ont augmenté, la possibilité pour des individus ayant deux passeports, par exemple français et algérien, de se rendre en Europe et de n’être plus qu’à un billet d’avion électronique de l’aéroport JFK ou d’un autre aéroport ici aux Etats-Unis n’augmente également (…).

Nous avons développé une bonne relation de travail avec nos homologues en Algérie. Et cela est la prochaine étape dans la consolidation de cette relation pour faire face à ce nouveau phénomène des nouvelles menaces issues du Maghreb. » Réagissant quelques jours après à cette annonce, le ministre algérien de l’Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni, estime que « dans certains cas, il est nécessaire de renforcer la coopération que ce soit avec le FBI, Interpol ou d’autres services sécuritaires, autour du terrorisme ou d’autres menaces. Cela s’effectue par la désignation de représentants de ces appareils sécuritaires ou des officiers de communication pour superviser cette coordination. »

Quelques mois avant cette annonce, en septembre 2007, des juges algériens avaient reçu une formation complète à Alger de la part d’experts du FBI sur le traitement des crimes de blanchiment d’argent. « Les crimes transnationaux, le blanchiment d’argent, les trafics de documents officiels, qui sont des crimes ‘‘périphériques’’ du terrorisme international, intéressent au plus haut point le FBI qui, grâce à des dérogations spéciales, enquête à travers le monde sur les réseaux radicaux lorsque les intérêts US sont ciblés », nous explique une source proche du dossier.Quel rôle reste-t-il alors à la section de la CIA à Alger ? La section évolue dans une sorte de « zone grise » : la structure n’est pas rattachée au bureau de l’attaché militaire de l’ambassade américaine qui s’occupe de la coopération officielle avec le ministère de la Défense nationale algérien.

L’attaché militaire, selon les informations officielles, est le représentant du secrétaire à la Défense (le ministre US de la Défense), les chefs d’états-majors ainsi que le commandant du commandement US en Europe. La section de la CIA n’est également pas en attache avec l’antenne du FBI à Alger qui semble exercer un rôle moins opérationnel que les « experts » de l’Agence. La section de la CIA dispose d’un bureau discret à l’ambassade, sans écriteau, et était, avant les attentats suicide de 2007 et la hausse de la cote d’alerte en milieu urbain, installée dans un appartement au centre-ville. L’action principale de la section de la CIA se concentre sur la collecte et la coordination des informations dans le domaine de la lutte antiterroriste, en collaboration étroite avec les services secrets algériens.

L’installation de ses voisins du FBI à Alger a permis d’élargir le champ de la coopération aux autres secteurs et services de sécurité (comme le ministère de l’Intérieur), de renseignement et de justice. La seule trace visible de coopération entre la CIA et les autorités algériennes reste l’affaire des vols secrets de l’Agence qui ont permis de transporter des suspects d’Afghanistan vers des lieux de détention secrets en Europe et ailleurs. En 2004, l’un de ces avions code N313P, un Boeing 737, selon l’enquête du rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le Suisse Dick Marty, a fait escale deux fois à Alger. La semaine dernière, une affaire de justice a éclaté en Espagne pour enquêter sur ces vols qui ont transité par l’île de Palma, dont l’un des itinéraires a été Alger-Palma-Skopje en Macédoine, le 22 janvier 2004.

Les « déclarés » et les « clandestins »

Habituellement, selon un expert des services de renseignement, il existe deux catégories au sein du pool d’experts d’un service installé dans une ambassade. D’abord, ceux qui sont connus par leurs homologues du pays, auprès desquels les agents se sont présentés comme tels. Ces agents « identifiés », ou « déclarés », peuvent avoir une couverture (deuxième conseiller de l’ambassade, en poste à la coopération bilatérale sur les dossiers de sécurité intéressant les deux pays, etc.). Ensuite, il y a les « clandestins » : des agents au sein d’une ambassade non déclarés comme tels auprès des services du pays d’accueil. Ces agents-là opèrent sous diverses couvertures dans le renseignement sans être connus de quiconque, sauf des agents « officiels » et déclarés du même service.

Dans cette deuxième catégorie, ces agents font vraiment du terrain comme « espions », en coordination avec le bureau officiel. Leur marge de manœuvre est plus grande, car ils ne sont pas identifiés. « Dans le cas où un agent faisant partie de la seconde catégorie est découvert, il est tout de suite déclaré persona non grata et est renvoyé dans son pays », nous explique un diplomate en poste à Alger. Selon le quotidien égyptien Adostour Andrew Warren, qui occupait le même poste de chef de section de la CIA au Caire durant deux ans - sa dernière fonction avant d’atterrir à Alger -, a dû quitter précipitamment ce poste sans que les autorités égyptiennes ou américaines expliquent ce départ. « Depuis que l’affaire Andrew Warren a éclaté à Alger, nous avons tenté d’enquêter sur son histoire ici au Caire : pourquoi a-t-il quitté son poste ? Etait-ce lié à des scandales de mœurs ou à autre chose ? Mais personne ne veut parler », nous explique une journaliste d’investigation du quotidien cairote Al Masry Al Yaoum.

« Les relations étroites entre les Etats-Unis et l’Egypte empêchent les officiels des deux bords de s’exprimer sur cette affaire délicate. C’est le black-out total », poursuit-elle. Se triturant le menton, notre expert à la mine circonspecte a déclaré : « Le problème avec Warren Andrew est qu’il semble faire partie à la fois des deux catégories. » Reçu officiellement par les autorités algériennes, en tant que chef de la section CIA d’Alger, il était connu et reconnu par ses homologues algériens, avec lesquels il travaillait directement, bien qu’au niveau de l’ambassade et de ses relations publiques, il se présentait comme le « chef de la sécurité de l’ambassade ». Mais le problème demeure au niveau des activités « en solo » : si les allégations sur ses nombreuses tournées dans des mosquées de la banlieue est d’Alger se confirment — il est converti à l’Islam et lit et parle parfaitement l’arabe — son rôle dépassera donc sa fonction officielle.

Si cela se confirme, le malaise entre Alger et Washington sera décuplé alors que les deux parties tentent de passer le cap d’un scandale qui n’a pas fini de livrer tous ses secrets.

Source El Watan http://www.elwatan.com/Les-dessous-de-la-CIA-en-Algerie